Tuesday, February 17, 2009

R01

J'ai une histoire à vous raconter. C'est un peu long...

Ca a commencé en été 2007. A ce moment-là, une étudiante venait de finir sa thèse et allait quitter le labo quelques semaines plus tard. Elle avait travaillé sur une souris dont le phénotype avait éveillé l'intérêt du chef. Pour différentes raisons, ce n'est pas encore publié à ce jour... Mais si ce que dit l'étudiante est vrai, c'est assez grandiose. A l'époque, le chef ne parlait que de cette souris, et il voulait en tirer plus... beaucoup plus...
Août 2007 : on en avait déjà vaguement discuté, mais un jour je reçois un mail du chef me demandant "Es-tu intéressé par cette souris? - Tu pourrais travailler avec C.R. (un autre gars du labo) dans tel domaine - Ca devrait pouvoir aboutir à une publication dans un grand journal".
Décodeur RAF : Prends la souris, travaille avec C.R. et publiez dans une grande gazette.
Septembre 2007 : J'hérite donc de la lignée de souris et commence les croisements. La difficulté avec cette souris, c'est que le phénotype n'apparaît qu'avec l'âge... un an et plus. Il n'y avait que très peu de vieilles souris parmi celles que j'ai reçues, donc on décide de jeter un oeil à seulement 2 animaux (rien de statistiquement ni même biologiquement significatif à espérer d'une telle manip bien sûr... juste la curiosité). Néanmoins, on observe un truc nouveau... et plutôt intéressant. On préfère ne rien dire à personne, car il nous faudra plus d'un an avant de pouvoir répéter la manip. Malheureusement, via C.R. puis l'étudiante, ça arrive aux oreilles du chef... qui considère dès lors le résultat comme acquis (et merde!).
Février 2008 : Le chef vient aux nouvelles dans le labo. Il souhaite une réunion. OK, je lui explique déjà rapidement que je ne suis pas du tout certain du résultat et qu'il faudra du temps avant de pouvoir reproduire la manip avec un grand nombre de vieilles souris. Je perçois dans son attitude qu'il ne m'écoute pas. Et en effet, avant de partir, il me lâche le vrai message de sa visite : "On devrait trouver de l'argent pour ce projet".
Décodeur RAF : Trouve une source de financement, rédige un projet et obtiens du pognon.
Mars 2008 : La réunion se tient avec le chef et C.R. Entre temps, j'ai pu confirmer l'observation sur 2 autres vieilles souris (pas encore génial comme nombre de souris, mais déjà un tout petit peu mieux). Je montre tous les résultats et présente les perspectives. En fin de discussion, le chef conclut à nouveau : "On devrait trouver de l'argent pour ce projet".
Justement! (Et là j'ai vu à sa tête que le chef était un peu surpris...). Depuis qu'il est passé au labo le mois précédent, j'ai fait quelques recherches et j'ai trouvé un appel à projets du NIH (le FNRS américain) auquel notre projet pourrait correspondre à merveille. "OK, allez-y, écrivez le projet", nous dit-il! Dans le jargon, ce type de projet s'appelle un R01... le financement type attribué par le NIH.
Evidemment, même s'il a fait le malin devant le chef, C.R. me prévient tout de suite qu'il n'a absolument pas le temps de travailler à ça! La date limite est le 18 juin.
Mai 2008 : Congrès de 3 jours à Versailles, suivi de quelques jours à la maison. A l'aéroport, dans l'avion et le train, entre les présentations, le soir à l'hotel, dès que j'ai 5 minutes je travaille sur le projet... pas facile, car c'est un peu 'pointu' et je ne connais que superficiellement le domaine.
Mardi 3 juin : Retour au labo. La secrétaire m'appelle : "Le projet?", me demande-t-elle d'un air autoritaire. "J'y travaille!". "Quand est-ce que je l'aurai?". Commence alors un petit marchandage. Moi : "Quand en as-tu besoin?" Elle : "Demain". Oufti, ça c'est rude. Moi : "Absolument impossible! Jeudi plutôt?". Elle : "OK". Moi, du bout des lèvres : "Et vendredi ... non... ??". Elle : "Ca fait tard, mais ça devrait aller". Moi : "Et lundi?". Elle : "Ah non, vendredi au plus tard". Moi : "OK, quelle heure vendredi?" Elle : "Midi". Vendredi midi, fin de la discussion... ça laisse 3 jours pour 25 pages et un collègue qui s'est défilé.
Jeudi fin d'après-midi : Pas beucoup dormi depuis mardi. J'envoie la patate chaude à mon collègue qui avait quand-même accepté de relire le truc et de remplir les trous que je lui avais laissés.
Jeudi 22h30 : je finis les corrections et je transmets au chef.
Vendredi 10h30 : le chef a réalisé un exploit, il ne lui a fallu que 12 heures pour tout relire et surtout, il a fait (un tout petit peu) plus que corriger l'anglais.
Vendredi 12h01 : avec une minute de retard, après un sprint dopé à la cafféine, la version finale repart chez le chef... avec copie à la secrétaire qui doit emballer le tout. J'apprends l'après-midi que pour un obscur souci informatique non identifié, elle ne pourra finalement s'en occuper que le lundi matin.
Mardi matin : Le tout est bouclé et transmis aux gratte-papier de Yale... qui ont donc encore une bonne semaine pour apposer leur signature au bas du document et le faire suivre au NIH.

Ensuite, je n'ai plus entendu parler de ce projet ni même de cette souris : un été et un automne peinard... sur ce front-là en tout cas! Jusqu'en...
... novembre 2008 : les reviewers ont fait leur travail, le score est connu : 173. Le chef fait une petite grimace en l'apprenant : ce n'est pas mal, mais c'est un peu juste. En effet, les scores vont de 100 (le meilleur) à 500 (le pire). Un score de 130 assure qu'un projet soit financé, un score en dessous de 200 permet d'espérer... mais les temps sont très durs pour la recherche après le sous-financement des années W.
Décembre 2008 : Les commentaires des reviewers sont maintenant connus. L'un dit 'potentiellement excellent', l'autre dit 'excellent' et le troisième dit carrément 'outstanding'. Mais toujours pas de décision.
Janvier 2009 : A mon retour au labo, la lab manager vient me parler de l'affaire. Elle me dit que je devrais penser à retravailler le projet pour le resoumettre en mars, mais cette fois en dehors du contexte d'un appel à projets spécifique. Et quand je lui demande si on a reçu une décision officielle, elle me répond avec son ton toujours aussi agréable que non, mais qu'il n'y a de toute façon aucune chance car le score est "bien trop mauvais".
Fin janvier 2009 : La lab manager revient me trouver au labo, l'air stressée. Le NIH demande un complément d'information en urgence (malgré le score bien trop mauvais???)... pour le lendemain. Très bien, voila de quoi s'occuper à l'heure où on annonce les premiers ralentissements entre Waterloo et les Quatre Bras... (J'adore écouter la radio belge à cette heure-là!)
17 février 2009 : la décision officielle tombe enfin, Monsieur Flavell empoche 1,250,000.00 $ (un million deux cent cinquante mille dollars).

Il est venu lui-même m'annoncer la nouvelle, l'air satisfait...

2 comments:

Tonio said...

Waw, bravo! Tu t'es bien démené. Donc tu seras encore quelques temps à Yale, jusqu'à l'épuisement de tout ces dollars et la super publi qui en sortira.

Elodie said...

Félicitations!
Ca fait un projet de combien d'années avec tous ces chiffres?